Musique émise, musique omise

L’observation des conduites musicales enfantines montre que le déployeur moteur développe une organisation des durées sur un mode qui lui est spécifique. Lorsque le développement de la pensée atteint un niveau suffisant, la pratique musicale va accéder à un nouveau niveau de la planification motrice, associant l’enchaînement des actes et leur contexte, ou plus pratiquement, gérant les actes musicaux manifestes et implicites. A la renaissance, les théoriciens de la musique, en une belle intuition, avaient ainsi distingué musique émise et musique omise. L’observation des conduites éclaire l’appropriation de ce nouveau niveau d’organisation.
Sur une carrure ternaire, jouée au piano de manière primaire (basse + accord + accord) les élèves sont chargés de frapper avec un maillet sur un grand Tom de batterie le premier temps seulement. Après quelques mesures, le meneur de jeu substitue à la battue simple une forme mélodisée de la carrure. On relève alors deux conduites :
Un premier groupe d’enfants, qui intervenaient correctement, perdent le fil lorsque la mélodisation estompe les repères.
Un second groupe surmonte le changement. La particularité de leur action, est qu’ils frappent le temps fort, puis esquissent sans frapper les deux temps faibles.
La seconde conduite met en évidence l’état encore concret de la maitrise de la musique omise. Celle-ci a en effet dans ce cas statut d’un acte engagé et inhibé aussitôt. Cela signifie que ces enfants organisent leur action en distinguant entre les actes sonores et ceux qui ne le sont pas, bien que faisant partie de la musique. En d’autres termes, leur activité n’est pas un ajustement au contexte manifeste, mais la production conjointe de ce contexte.
Musicalement parlant, l’aboutissement de cette évolution est de parvenir à la régulation d’ensemble que constitue ce qu’on nomme à juste titre le système tonal. Chaque note y a une identité, ou plutôt une identité composée : d’un rôle par rapport aux notes voisines, d’une place et d’un statut dans l’ensemble. Chacun de ces traits repose sur un type de lien, en fait sur un mode de persistance, nécessaire à transcender l’évanescence des traits successif : les éléments constituants une mélodie ne sont jamais présents simultanément.

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