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PrŽsentation au colloque CNSNDP, Paris, 15 dŽcembre 2014
 
En prŽambule. Nous nous sommes engagŽs en pŽdagogie par choix, par vocation, incidemment parce que la pŽdagogie faisait partie dĠun cursus dĠŽtude choisi. Nous avons alors puisŽ et assimilŽ une part considŽrable du savoir constituŽ dans ce domaine. Nous avions peu dĠexpŽrience pŽdagogique mais nous avons alors dŽcouvert et ŽtŽ troublŽs quĠil nĠy ait pas tant de relations entre le penser et le faire ! Nous nous sommes simplement accoutumŽs au fait que face ˆ lĠenfant, aux Žlves, le savoir acquis semblait sans relations directes avec la situation, car ce qui se passait dans ce moment nous impliquait selon un registre diffŽrent, celui dĠun Žtat mental particulier, une sorte de bulle nous contenant avec notre Žlve, nous coupant momentanŽment du monde.
Mais ce mode dĠtre qui nous a surpris Žtait en fait prt en nous depuis toujours. Il est partie de notre hŽritage comportementale, celui qui nous sert dĠinterface avec le monde, y inscrit et y situe notre espce.   Quelle relation cela a-tĠil avec la pŽdagogie qui a pour objet la transmission de notre humanitŽ ? Mais le culturel ne se substitue pas ˆ la nature mais la prolonge. Ces mŽcanismes profonds sont comme la part sous-marine qui porte la pointe de lĠiceberg. Ils sont source de ces intervention pŽdagogiques plus intuitives que pensŽes qui enrichissent quelquefois notre pratique. Cette posture de la transmission Žtait prte en nous, nous lĠavons reue en hŽritage.
JĠappelle gŽnie didactique cette disposition naturelle qui nous incite ˆ produire instruments et procŽdures pŽdagogiques, et ce quĠelle a produit qui sĠest institutionnalisŽ hier et aujourdĠhui. CĠest le terreau de notre activitŽ.

Les aptitudes sont ˆ construire. Mais finalement, tous domaines confondus, quel est lĠobjet de cette inclination ˆ transmettre ? Prenons un exemple qui parle ˆ tout le monde : lĠacquisition de la numŽrotation. Chacun lĠa constatŽ ou vŽcu : un (ou son) enfant, invitŽ ˆ compter (donc a restituer ce quĠon pense lui avoir appris, en toute fiertŽ) Žnonce correctement les premiers chiffres puis les mŽlange allgrement. Que se passe-t-il ? En lui enseignant les noms des nombres, bien sžr dans lĠordre, nous pensions de fait transmettre cet ordre ! Mais quelle est la nature de cet ordre ? Un surcroit de mŽmoire ? Une autre sorte de mŽmoire ?
En rŽalitŽ, ce que lĠenfant ˆ acquis ne sont que des Žtiquettes. Ce qui manque ˆ  cet enfant, cĠest une aptitude, celle de traiter ces Žtiquettes. 
Certes, nous le savons tous, ˆ lĠexercice, la mŽmorisation peut aller ˆ inclure le respect de lĠordre. Mais nous le savons bien, la finalitŽ rŽside dans lĠacquisition des opŽrations de sŽriation, dĠitŽration. Cet acquisition ne dŽcoule pas dĠun accroissement accentuation de la mŽmoire. Ces faits de la construction de lĠintelligence sont bien connus, mais nous devons retenir autre chose de cela. Cette forme premire de lĠappropriation nĠest pas quĠinsuffisance, inachvement, mais un passage nŽcessaire. Il crŽŽ la matire dont auront besoin les aptitudes pour se construire en regard du monde. Ce petit exemple renvoie ˆ la gŽnŽralitŽ de lĠappropriation culturelle, et cela rŽvle que la pŽdagogie elle-mme doit sĠinscrire dans ce processus en deux Žtapes.

Le double processus. Cette idŽe est un acquis du 20me sicle. LĠappropriation en deux Žtapes du savoir est prŽsente tant chez Piaget que chez Vigotsky, bien que sur des bases diffŽrentes, ce qui a donnŽ lieu ˆ une controverse cŽlbre entre les deux auteurs. Le premier dit que le savoir est dĠabord individuel, puis social, le second lĠinverse. En rŽalitŽ, Piaget appelle individuel le fait que la connaissance de lĠenfant soit limitŽ ˆ sa propre expŽrience, et social le fait que la connaissance est par dŽfinition interindividuelle (2 et 2 font toujours et partout 4, dit-il !) Pour Vigotsky, il est dĠabord social, car interindividuel, puis individuel parce quĠintŽriorisŽ. Il le dit ainsi : Ç chaque fonction appara”t deux fois, ... dĠabord au niveau interpersonnel en tant que catŽgorie interpsychologique, ensuite au niveau de lĠenfant en tant que catŽgorie intrapsychologique È. Ces idŽes sont convaincantes, elles nous ont enthousiasmŽ, mais quĠen est-il pratiquement ? Que peut-on savoir sur le passage entre ces deux Žtats ! Ces processus internes nous sont inaccessibles, on nĠen constate que les consŽquences. Mais hors de ces gŽnŽralitŽs, comme musiciens, nous avons des moyens supplŽmentaires dĠapprocher ces processus. 

En musique. La musique est en effet un domaine privilŽgiŽ pour en savoir plus. Contrairement aux  autres activitŽs de la pensŽe, en musique les processus de traitement cognitifs ne sont pas distincts des activitŽs matŽrielles. Ainsi, le double processus de lĠappropriation est ici en partie manifeste. On peut constater comment le geste pŽdagogique donne ˆ lĠenfant la possibilitŽ dĠappuyer ses conduites sur des aptitudes quĠil ne possde pas encore, mais qui lui sont disponibles par lĠextŽrieur, par lĠinsertion dans un contexte expert. Une thŽorie globale de cette dynamique de partage, a pu tre induite par lĠobservation des conduites en contexte pŽdagogique dans le champ musical. Elle sĠappelle : lĠusage et les moyens.
JĠappelle usage lĠexercice conjoint en contexte musical, tel que gŽnŽrŽ par les tenants des aptitudes nŽcessaires et suffisantes. JĠappelle moyens les aptitudes ˆ la base de ce contexte.
LĠusage est le moyen dĠaccŽder aux moyens. Il existe un facteur dynamique qui assure le lien entre les deux : cet exercice laisse des traces qui sont rŽutilisables au grŽ de situations analogues, susceptibles dĠamŽlioration et de gŽnŽralisation. Ces traces dĠusage sont autant la possibilitŽ dĠaccŽder ˆ lĠespace musical que de constituer la matire et lien vers la construction de la pensŽe.
On peut alors privilŽgier lĠidŽe que lĠobjet de la pŽdagogie nĠest pas tant la transmission dĠinformation que lĠactivation dĠaptitudes. La thŽorie de lĠusage et des moyens est une concrŽtisation de cette proposition.

ThŽorie des facilitateurs. Venons-en au point important de cette approche : lĠaccs ˆ lĠespace dĠusage musical est primordial, mais il ne repose pas sur une aptitude innŽe. Aussi le gŽnie didactique entre en jeux en activant des fonctions adventices, cĠest-ˆ dire prenant la place de celles qui constitueront ˆ termes la sphre du musical. Les principaux facilitateurs dĠaccs observables dan sels conduites musicales ŽlŽmentaires, de la troisime ˆ la sixime annŽe, sont :
    La rŽgulation verbale des enchainements voco moteurs musicalisŽs.
    La rŽgulation visuelle des activitŽs motrices sŽquentielles. 
    LĠuniformisation cadentielle des activitŽs ˆ un tempo favorable prŽŽtabli.
    La rŽduction des organisations sŽquentielle aux stŽrŽotype prŽŽtabli de lĠalternance.
Les facilitateurs sont invoquŽs jusquĠˆ ce que les organisateurs prennent le pas.

Fondement de didactique. Cette thŽorie est issue de la pŽdagogie, elle doit en retour lĠalimenter. Le principe didactique fondamental qui en dŽcoule est celui de la double performance : les activitŽs sont dĠabord menŽes collectivement pour ensuite tre suivies des performances individuelles demandŽes ˆ chacun des enfants. CĠest un contexte dĠŽvaluation formative. Il conduit ˆ conna”tre et ˆ guider chaque Žlve au travers de son niveau rŽel, celui quĠil manifeste sans Ç assistance opŽratoire È.
Ainsi, des enfants qui rŽussissent ˆ sĠinscrire dans une activitŽ rythmo-motrice simple, ne proposent en activitŽ individuelle quĠune rŽduction de la t‰che aux stŽrŽotypes moteurs.
 
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LĠusage peut aussi activer des formes complexes de lĠajustement de lĠaction. Ainsi lĠentrŽe successive des Žlves dans lĠactivitŽ rŽclame des aptitudes planificatrices que les plus jeunes ne possdent pas encore, et qui peuvent en temps normal participer nŽanmoins ˆ lĠactivitŽ gr‰ce ˆ un facilitateur cachŽ : le dŽpart simultanŽ provoquŽ. 

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Le pŽdagogue est un surfacilitateur, il manipule, renforce et associe les facilitateurs possibles.

Principes pratiques de didactique. La t‰che de la pŽdagogie de lĠinitiation musicale est de favoriser lĠaccs ˆ lĠespace dĠusage, condition premire du double processus de lĠappropriation. Dans la rŽalitŽ quelques principes suffisent ˆ guider lĠŽlaboration de didactiques extensibles et gŽnŽralisatrices :

    User des facilitateurs, en gardant ˆ lĠesprit quĠils ne se confondent pas avec les moyens musicaux     puisquĠils ne font quĠen palier la faiblesse ou lĠinachvement.
    Associer les enfants en insertion prŽcaire avec des maitrisants, mais aussi valoriser les maitrisants en     leur donnant une t‰che supŽrieure, ou le statut gratifiant dĠassistant.
    Eviter lĠextinction de lĠattractivitŽ des t‰ches, tant sur le plan musical que psychologique.
Il va donc sĠagir dĠimaginer des exercices loisibles dĠextension, afin tre utilisables au grŽ de la pluralitŽ de niveaux des Žlves par dŽfinition prŽsents simultanŽment. On peut formaliser cela en appelant ˆ distinguer entre deux extensions possibles des didactiques :
    La dimension horizontale. Elle est celle de lĠaccroissement technique de lĠinstrument et des             reports de lĠactivitŽ maitrisŽe sur dĠautres instruments.
    Exemple : lĠexercice de flžte do si do, ds que ma”trisŽ, devient do si la, puis la sol la, puis
    la sol mi  (deuxime main) etc. LĠensemble peut ensuite tre reportŽ aux claviers.

    La dimension verticale. Elle est celle de la possibilitŽ de participer ˆ lĠexercice selon divers
    niveaux dĠinsertion musicale.

    Exemples : partage de phrases musicales, canons, interventions inductives ou partielles des
    exercices communs.


En conclusion, on peut rŽaffirmer encore que lĠespace dĠusage est le lieu dĠŽlection de la pŽdagogie musicale. Cet espace est ˆ la fois crŽŽ et fondateur de la rŽalitŽ musicale, du lien entre les musiciens, lien qui aller jusquĠˆ tre concret.
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